Big Stuff 2025 à Gand : Retour d’expérience

Du 14 au 17 octobre 2025 la conférence Big Stuff organisée par la dynamique communauté Big Stuff Heritage et par le réseau ETWIE au Musée de l’Industrie à Gand a réuni des professionnels du patrimoine industriel venus essentiellement d’Australie, de Grande-Bretagne et de la région flamande de la Belgique pour échanger sur la conservation, la médiation des objets techniques et industriels.

La conférence a mis en lumière les enjeux contemporains de la conservation des objets industriels, souvent massifs, complexes et porteurs de mémoires techniques. Plusieurs interventions ont abordé :

  • La durabilité des matériaux et les défis liés à leur restauration.
  • Les objets en transition, entre obsolescence et réutilisation.
  • La médiation sensible autour d’objets techniques : comment raconter leur histoire sans les figer ?
  • L’importance de documenter les savoir-faire liés à ces objets, souvent en voie de disparition.

Un fil rouge s’est dessiné autour de la valeur sociale des objets industriels : au-delà de leur matérialité, ils incarnent des récits de travail, d’innovation, de luttes et de communautés.

Interventions marquantes

  • Rodney Harrison : Industrial heritage for just green transition

    La conférence s’est ouverte avec une keynote puissante du professeur Rodney Harrison (Professor of Heritage Studies at Institute of Archaeology, University College London), qui a interrogé le rôle du patrimoine industriel dans une transition écologique juste. Il a plaidé pour une approche du patrimoine qui dépasse la conservation matérielle, en intégrant les enjeux de durabilité, de justice sociale et de transmission intergénérationnelle. Pour le CNCI, cette intervention ouvre des pistes concrètes : intégrer des critères écologiques dans les projets de valorisation, développer des programmes pédagogiques autour du droit à la réparation, et positionner le patrimoine comme acteur de transformation sociale.

  • Hannah O’Toole : Historic Working Machinery, from steam to cotton: our mission to retain skills and knowledge

    Hannah O’Toole a présenté le travail de préservation des machines historiques, de la vapeur au coton, en insistant sur la nécessité de maintenir les savoir-faire vivants. Elle a montré que les objets techniques ne prennent sens que lorsqu’ils sont compris dans leur fonctionnement et leur usage. Cette approche résonne avec les missions du CNCI, notamment dans la transmission des gestes et des récits liés aux objets industriels.

  • Pieter Gurdebeke : The rise and fall of the West-Flanders Steam Engine Asociation : historical overview and lessons learned

    Pieter Gurdebeke a proposé un retour historique sur l’essor et le déclin de la West-Flanders Steam Engine Association, soulignant les dynamiques communautaires, les enjeux de transmission, et les difficultés de pérennisation. Son intervention a mis en lumière les enseignements à tirer pour les institutions patrimoniales : l’importance de la mobilisation locale, de la documentation, et de la flexibilité dans les formats de médiation.

  • Peter Van Wichelen a présenté un projet fascinant de réalité augmentée appliquée au chantier naval de Baasrode
    (More than real: using augmented reality to put machines back to work at Baasrode Shipyards), permettant de remettre virtuellement en marche des machines historiques. Cette approche innovante ouvre des perspectives pour le CNCI : rendre les objets techniques accessibles et compréhensibles sans les manipuler physiquement, tout en valorisant leur fonctionnement et leur contexte d’usage.
  • Morena Scaglia, quant à elle, a captivé l’auditoire avec son étude sur l’artisanat de la « Scauda Ciò » (The craft of ‘Scauda Ciò’: assembling metal bridges with nails) , technique traditionnelle d’assemblage de ponts métalliques avec des clous. Elle a souligné l’importance de préserver ces savoir-faire rares, porteurs d’une intelligence du geste et d’une mémoire ouvrière. Cette intervention résonne avec les missions du CNCI autour de la transmission intergénérationnelle et de la valorisation des métiers techniques.
  • Catherine Cartmell & Jim Mitchell (Écosse) : A Well-Oiled Machine? Skills Succession in Scotland

    Présentation sur les mécanismes de transmission des compétences dans les métiers du patrimoine en Écosse, avec un regard sur les structures institutionnelles et les dynamiques locales.

  • Alison Wain (Australie) : New Ideas for Teaching Heritage Trades in Australia

    Exploration de nouvelles approches pédagogiques pour l’enseignement des métiers du patrimoine, mettant l’accent sur l’apprentissage par la pratique et l’interdisciplinarité.

  • Jorijn Neyrinck (Belgique) : How to Forge the Skills for Crafting Futures – Experiences and Perspectives from a Belgian Living Heritage Bridgebuilder

    Réflexion sur le patrimoine vivant comme outil de transformation sociale, avec une attention portée à la transmission intergénérationnelle.

  • Daniel Schneider (États-Unis)Preserving Worker Skills in the Industrial Manufacture of Wood Printing Type

    Étude de cas sur la préservation des gestes techniques dans la fabrication industrielle de caractères typographiques en bois, soulignant l’importance de la documentation et de la transmission.

  • Jantiene van Elk & Michelle Baggerman (Pays-Bas) : Tilburg Textile Heritage: Trainees and One Point Lessons

    Présentation d’un projet de valorisation du patrimoine textile à Tilburg, basé sur des formations ciblées et des méthodes pédagogiques simplifiées pour les jeunes apprenants.

  • Vic Bervoets : From machines to hands: knowledge and skill transmission in Maker Spaces

    Cette présentation a mis en lumière le rôle des Maker Spaces comme lieux d’apprentissage actif, où les machines ne sont pas seulement des outils mais des vecteurs de transmission intergénérationnelle. L’intervention a souligné l’importance de l’expérimentation, du geste et de la communauté dans la réappropriation des savoirs techniques.

  • Karen Fisher & Mathilda Vaughan : Beyond steampunk: keeping heritage machines at Museums Victoria really moving

    Un regard inspirant sur la manière dont les machines patrimoniales peuvent rester fonctionnelles et vivantes dans un musée. Loin d’une approche statique, les intervenantes ont présenté des stratégies pour maintenir les machines en état de marche, en impliquant des techniciens, des bénévoles et des publics dans une dynamique de conservation active. Ces deux interventions à Anvers ont enrichi ma réflexion sur les liens entre patrimoine industriel, transmission des compétences et engagement collectif.

Visites inspirantes

  • Le Paper Mill de Herissem
    Parmi les visites marquantes, celle du Paper Mill de Herissem a été particulièrement enrichissante. Ce site patrimonial, ancien moulin à papier, illustre parfaitement les défis de conservation in situ et de valorisation des savoir-faire artisanaux. La visite a permis de découvrir des machines encore en fonctionnement, des techniques de fabrication traditionnelles, et une approche immersive du patrimoine industriel. Elle a renforcé l’idée que la transmission passe aussi par l’expérience directe, le geste et la matière.
  • Soirée au Musée Industriel de Gand
    La soirée organisée au Musée Industriel de Gand a offert un moment convivial et inspirant, au cœur des collections. Elle a permis de prolonger les échanges dans un cadre vivant, où les objets exposés devenaient les catalyseurs de discussions sur la mémoire, l’innovation et les usages contemporains du patrimoine industriel. Ce temps informel a favorisé les rencontres entre professionnels et renforcé les liens entre institutions.
  • Exploration du port historique d’Ostende
    La journée délocalisée à Ostende a offert un regard complémentaire sur les enjeux du patrimoine industriel, entre technologie immersive et gestes traditionnels. L’après-midi a été consacré à la découverte du port historique d’Ostende, où le patrimoine maritime prend vie. La visite du navire-école Mercator et du navire de sauvetage Watson ont permis de relier les objets techniques à leur environnement et à leur usage, dans une logique de patrimoine vivant.
  • Steam Train Centre Dendermonde-Puurs
    La visite du stoomtrein Dendermonde-Puurs, un lieu unique où le patrimoine ferroviaire prend vie grâce à l’engagement passionné de bénévoles. Ce centre, entièrement animé par une communauté locale, propose une immersion dans l’univers des locomotives à vapeur historiques.

    Ce lieu est bien plus qu’un musée vivant : c’est un exemple inspirant de patrimoine industriel vivant, où la transmission se fait par l’expérience directe, le partage intergénérationnel et l’implication citoyenne. Une belle démonstration de ce que peut être un écosystème de mémoire vivante, accessible, pédagogique et profondément humain.

Réflexions pour le CNCI

Pour le CNCI, Big Stuff 2025 ouvre des perspectives concrètes :

  • Renforcer la documentation vivante des objets (témoignages, vidéos, archives orales).
  • Développer des formats de médiation participative, notamment avec les jeunes publics.
  • Valoriser les objets en réseau, en les connectant à d’autres institutions de la Grande Région.
  • Explorer les usages contemporains des objets industriels : design, art, réemploi.

La conférence a aussi rappelé que la conservation ne doit pas être figée, mais pensée comme un processus dynamique, au service de la transmission, du dialogue et de la transformation.

Auteure : Delphine Berthélémy | Responsable Réseau

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